Des centaines de scientifiques belges publiés dans de "fausses revues"

Une enquête réalisée par le quotidien flamand De Morgen révèle que des centaines de chercheurs d’universités et d’instituts de recherche belges ont publié des études dans de célèbres "pseudo-revues scientifiques". Leurs articles ont été publiés, généralement contre paiement, sans aucune évaluation externe fiable. "Juridiquement c’est permis, mais cela va à l’encontre de la pratique scientifique courante. Le monde scientifique est pour la première fois confronté publiquement à ce phénomène et doit y réagir", estimait le journaliste Remy Amkreuz du Morgen dans l’émission "De wereld vandaag" de la VRT (Radio 1).

Pour réaliser son étude, le quotidien De Morgen s'est basé sur les données du journal allemand Süddeutsche Zeitung ainsi que les chaines allemandes Norddeutscher Rundfunk et WDR. Ceux-ci ont passé au crible plusieurs sites web douteux, tels que l'éditeur turc Waset et l'indien Omics, et ont relevé les noms et les institutions des auteurs de dizaines de milliers d'articles.

L'enquête du Morgen a montré que 1.294 scientifiques belges ont publié, depuis 2007, un total de 295 articles dans de fausses revues scientifiques. La publication d'un article dans une telle revue ne signifie pas nécessairement qu'il est vide de sens, mais le problème ici posé est qu'il n'y a aucune évaluation fiable effectuée par les pairs (ou peer review selon l'expression anglophone couramment utilisée).

D’après le journaliste du Morgen Remy Amkreuz, interviewé par Radio 1 (VRT), les chercheurs ne savent pas toujours que les revues auxquelles ils ont proposé un article sont de fausses revues scientifiques. "Nous avons pris contact avec divers scientifiques et leur avons demandé s’ils avaient sciemment choisi certaines publications ou s’ils sont tombés dans le piège "

"Juridiquement, ils peuvent publier dans ces revues. Aucun législation n’est enfreinte. Les universités n’ont pas non plus de règles contre les publications dans ces fausses revues. Mais on enfreint alors à la pratique scientifique courante. Pour les spécialistes en matière d’éthique, la publication dans pareilles revues posent effectivement un problème. Ils estiment que c’est répréhensible", précise Amkreuz.

Les scientifiques sous pression pour publier

D’après le journaliste du Morgen, l’une des raisons de publier dans une fausse revue scientifique est que les chercheurs sont mis sous pression pour publier sur leur travail. "Nous voyons que ce sont souvent de jeunes chercheurs dont les noms apparaissent dans ce type de revues. Mais cela peut aussi être une question d’ego. Certains scientifiques publient volontiers souvent".

"J’estime que ce ne devrait plus être permis. (…) Les universités doivent trouver une réponse à ce phénomène. Il est temps que des limites soient imposées aux scientifiques". D’après Remy Amkreuz toutes les universités flamandes sont concernées par ce phénomène.

Dans une réaction, la Vrije Universiteit Brussel (VUB) promeut la mise en place de listes blanches et noires afin d'aiguiller les scientifiques vers des revues dignes de confiance.
Frank Comhaire a reconnu avoir publié des textes dans ces "pseudo-revues scientifiques", mais souligne que le scientifique est lui-même responsable de la qualité de son travail. "J'ai une réputation à maintenir, donc je fais en sorte d'apporter de la qualité, peer review ou non. Un de mes derniers articles parus dans une revue Omics en 2016 a été lu 400 fois, ce qui est fantastique. C'est ce que l'on veut, non?"

Le même scientifique indique aussi que la différence entre ces revues et les revues scientifiques reconnues est exagérée: "Même dans les revues renommées, le peer review n'est plus ce qu'il était. J'ai récemment publié chez Elsevier et je pouvais donner trois amis comme 'reviewers'", précise-t-il.

Luc De Schepper, recteur de l'Université de Hasselt, indique que la question va être abordée en interne, et souligne qu'il ne s'agit certainement pas d'une problématique "tout blanc - tout noir". "Certaines revues sont considérées comme 'prédatrices', mais contestent cela ou travaillent quand même de manière correcte. Pour nos chercheurs, ce n'est donc pas toujours évident de distinguer les revues valides ou non. Ils peuvent très bien avoir agi de bonne foi".

La ministre flamande de l'Enseignement Hilde Crevits (CD&V) souligne de son côté que les publications dans de "fausses revues scientifiques" ne sont pas prises en compte dans le financement des universités. "Pour les sciences humaines, nous tentons de clarifier les choses avec des listes de fausses revues".

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