Un reportage du magazine "Pano" recueille des témoignages et des images de violences policières
Les journalistes du magazine "Pano" ont enquêté sur des témoignages de violences policières disproportionnées qui ont été filmées. Mais le fait de filmer des policiers provoque parfois une réaction supplémentaire. Comment la police doit-elle traiter cette question ? La lutte contre la violence fait pourtant partie de la formation des policiers, mais les experts s'interrogent sur la durée de cette formation. Le reportage a été diffusé le mercredi 3 mars à 21h25 sur la Eén (VRT) mais vous pouvez en voir des extraits ci-dessous.
Les citoyens utilisent de plus en plus souvent leur smartphone pour filmer les interventions policières. Ce n'est pas toujours facile pour la police, mais les images peuvent constituer des preuves solides par la suite. C'est aussi ce que pensaient les amis d'Adam et Kagiso, ce lundi soir de la mi-décembre sur la Dageraadplaats à Anvers.
"Vous êtes peut-être racistes ?"
Adam et Kagiso ont tous deux 16 ans et sont les meilleurs amis du monde. Le 14 décembre, ils veulent fêter la fin des examens avec leurs camarades de classe. Ils se retrouvent avec une dizaine de jeunes sur la Dageraadplaats. Cela a attiré l'attention de la police qui vérifiait si les mesures sanitaires étaient bien respectées.
Lorsque les combi's de la police arrivent autour de la place, beaucoup de jeunes s’éloignent. Mais quelques jeunes restent, dont Kagiso. Il s'en suit une violente discussion avec la police et Adam voit comment Kagiso, qui est noir, est poussé à plusieurs reprises. Il demande alors aux policiers s’ils sont racistes. C’est alors que les choses tournent mal et Adam est jeté à terre.
C’est à partir de ce moment-là que leurs amis ont commencé à filmer. On voit sur les images comment Adam est maintenu au sol par trois policiers. Kagiso le voit aussi et veut aider son meilleur ami.
Kagiso est alors frappé violemment au visage et tombe inconscient : "Pourquoi moi ?", se demande Kagiso. "Je peux comprendre que vous puissiez vous en prendre quelqu'un qui vous attaque avec une arme ou autre chose, ou si vous vous sentez vraiment menacé, mais je n'avais rien fait de tel."
Adam assiste à la scène alors qu'il est encore plaqué au sol : "Ils traînent mon meilleur ami devant moi, assommé, les yeux ouverts. À ce moment-là, j'imagine le pire. Oui, à ce moment-là, j'ai cru qu'il était mort."
Les parents d'Adam et Kagiso ont porté plainte auprès du parquet, mais la police anversoise a également ouvert une enquête interne de sa propre initiative immédiatement après les faits. Les deux enquêtes sont toujours en cours. Les journalistes de "Pano" ont demandé une réaction au bourgmestre d'Anvers Bart De Wever (N-VA), mais en tant qu'autorité disciplinaire impliquée, il n'est pas autorisé à faire de déclarations sur cet incident. Le parquet ne peut pas non plus donner de détails en raison de l'enquête en cours.
A-t-on le droit de filmer la police ?
La vidéo montre aussi un officier de police affirmant qu'il n'est pas permis de filmer la police.
Mais qu'en est-il de la loi ? Sofie De Kimpe, professeur de criminologie à la VUB, explique qu'il y a place à l'interprétation : "En Belgique, il n'y a pas de loi qui autorise ou interdise de filmer des policiers. Ce n'est en fait autorisé que si c'est assorti d'un intérêt social. Tout dépend de l'interprétation : si vous pensez qu'il se passe quelque chose qui n'est pas correct, que la police dépasse ses attributions, alors vous êtes autorisé à filmer. Bien sûr, c'est au juge de décider après coup si les images étaient socialement utile ou non".
Les images des caméras de surveillance d'un restaurant
Dans les cas de violence policière, la caméra d’un smartphone n'est souvent allumée que lorsque le conflit bat déjà son plein. Mais dans le cas de Samer, le gérant d'un restaurant libanais à Saint-Gilles, (en Région bruxelloise), il s’agit des images des caméras de surveillance de son restaurant. On peut donc assister au début de la scène : à savoir l’arrivée de la police pour un contrôle des mesures sanitaires. Samer part chercher des documents prouvant que tout est en ordre, mais pendant ce temps, la police contrôle son personnel. Or le permis de séjour d’un de ses employé a expiré. Lorsque Samer revient, il voit son employé être emmené menotté. Samer ne comprend pas et commence à filmer avec son smartphone. Les images des caméras de surveillance montrent comment la situation dégénére. "Ils ont commencé à me frapper avec leur matraque. Ils ont poussé ma soeur et mon père. Et puis ils m'ont donné un coup de genou dans l'abdomen parce que je voulais empêcher la police de frapper des femmes", dit Samer.
Regardez les images de l'intervention policière et la réaction de Samer ci-dessous.

Plaintes au Comité P
Le 24 janvier dernier, une manifestation contre la "justice de classe" a eu lieu au Mont des Arts à Bruxelles. Les autorités ont toléré qu'elle se déroule, malgré le fait qu'elle n'était pas autorisée. Par la suite, 245 personnes au total - dont 86 mineurs - ont été interpellées à la suite d'incidents. Elles ont été transférées dans des cellules de la caserne de police d'Etterbeek.
Plusieurs personnes interpellées ont dénoncé sur les réseaux sociaux les violences excessives dont elles ont été victimes. Des parents de mineurs ont également déposé plainte auprès du Comité P. Le parquet de Bruxelles a lancé une enquête par la suite. Certains membres des forces de l'ordre ont également souligné que les agissements de leurs collègues étaient inacceptables.
Dans le reportage de Pano, Pirly, un des jeunes raconte comment il a été roué de coups en cellule.

"Les policiers sont aussi des êtres humains"
Le contrôle de la violence est une partie importante de la formation d’un policier. Des techniques sont enseignées pour neutraliser les gens sans leur faire de mal. Selon Paul Jacobs, lui-même policier à la retraite et aujourd'hui professeur dans deux écoles de police, cet aspect est nécessire : "Il est enseigné avec beaucoup de force. J'en suis convaincu. Mais bien sûr, il s'agit de la réalité sur le terrain, et aussi du groupe qui peut mettre la pression. Ce sont toutes des choses qui jouent un rôle. Et quelle que soit la façon dont on voit les choses, les policiers ne sont que des êtres humaines. Si vous donnez du pouvoir aux gens, il y en a toujours qui en abusent."
"Si vous ne restez pas calme, il y aura des émeutes"
"Pano" a aussi voulu se rendre compte de ce que c'est d'être un policier ou une femme dans la rue en ce moment. Nous sommes invités à nous joindre à une patrouille de la police de quartier à Anderlecht, une ville où les tensions entre les jeunes et la police augmentent depuis des années.
Ajoutez à cela le coronavirus et les mesures imposées et vous obtenez un mélange difficile, déclare le chef de la police Jurgen De Landsheer : "Il n'est pas très encourageant d'être un policier ou une femme dans les rues de Bruxelles en ce moment. Et puis de temps en temps, vous obtenez, j'en suis sûr, une violence excessive, disproportionnée. Mais ce sont toujours des gens qui sont défiés, crachés, raillés, peut-être pendant une demi-heure, une heure. A un moment donné, il faut passer à l'action".
Pano" a aussi suivi sur le terrain les policiers Robert et Murat, tous deux originaires de Bruxelles. Après des années de travail, ils semblent avoir réussi à créer un lien avec les jeunes du quartier. Mais ils restent vigilants, explique Robert : "Les jeunes aiment nous tester et nous provoquer. Mais nous devons rester professionnels et calmes. Si vous ne restez pas calme, cela se transforme rapidement en émeute et la situation n'est plus sous contrôle".
Le témoignage de Robert, policier à Anderlecht, ci-dessous, en français.

"Une formation plus longue signifie un meilleur contrôle de la violence"
Dans notre pays, la formation d’un policier dure un an, suivi d'un stage de six mois. Trop court, estime la criminologue Sofie De Kimpe : "On ne peut pas enseigner toute la difficulté de la profession en une seule année. Nous constatons, surtout à l'étranger, où les policiers ont été formés pendant une plus longue période, qu'ils sont plus flexibles, ont plus d'empathie et gèrent beaucoup mieux la violence. Et il est également important qu'ils aient de bien meilleures compétences sociales et de communication". Sofie De Kimpe demande donc aux décideurs politiques de prolonger la formation de la police à trois ans.
Regardez ci-dessous l'intégralité du reportage de Pano.
