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Peut-on mettre un terme à notre dépendance au gaz russe ? Et si oui, comment ?

L'invasion russe de l'Ukraine a une nouvelle fois mis à nu une question douloureuse, en l’occurrence celle de la dépendance de l'Europe au gaz et au pétrole russes. "En 2014, l'Europe avait déjà annoncé vouloir réduire cette dépendance, mais elle n'a finalement fait qu'augmenter", relève le professeur Thijs Van de Graaf (UGent), spécialiste des politiques énergétiques. D'après ce dernier, il faudra désormais faire des sacrifices à court terme pour récolter les bénéfices à long terme.

Pourquoi les entreprises énergétiques européennes cessent-elles leurs activités en Russie ?

Après la compagnie pétrolière et gazière britannique BP et l'entreprise publique norvégienne Equinor, c'est au tour de la britannique Shell de mettre fin à ses activités en Russie. Ces démarches sont une conséquence directe de l'invasion russe en Ukraine. "C’est surprenant", souligne Thijs Van de Graaf, professeur de politique internationale à l’Université de Gand et spécialiste des politiques énergétiques. "Ce sont des entreprises qui sont actives en Russie depuis plus de 30 ans. Elles s'y sont installées au lendemain de la chute de l'Union soviétique et y sont depuis très solidement ancrées."

D’après Thijs Van de Graaf, les entreprises concernées ont pesé leur décision. "Il y a d’une part la crainte d'un préjudice de réputation, et d'autre part, je peux imaginer que les entreprises britanniques ont également ressenti la pression du gouvernement. Dans tous les cas, cela mène à une gueule de bois financière pour ces sociétés. BP doit vendre ses parts dans l'entreprise publique russe Rosneft, qui valent des milliards, et cela ne sera pas entièrement récupéré."

Pour la Russie, le départ des entreprises énergétiques européennes signifie principalement une perte de savoir-faire et de capitaux. Mais qu’en est-il pour nous ? "Je ne pense pas que cela aura un impact sur la production russe de pétrole et de gaz. Toutes les sanctions qui ont été mises en place jusqu'à présent tentent aussi, dans la mesure du possible, d'épargner les exportations de pétrole et de gaz de la Russie."

L'Europe peut-elle se passer du gaz russe ?

Cette question met une fois de plus sur la table la dépendance majeure de l'Europe vis-à-vis du gaz russe. "Honnêtement, j'ai une impression de déjà-vu", souligne Thijs Van de Graaf. "Il y a huit ans, après la crise liée à l'annexion de la Crimée par la Russie, l'Europe a explicitement déclaré qu'elle réduirait sa dépendance au gaz russe. Mais en regardant les chiffres de plus près, on peut constater qu’elle n'a fait que croître", remarque le professeur de l’UGent. "Il y a huit ans, l'Europe importait 30% de produits en provenance de Russie, aujourd'hui ce chiffre est s'élève à 40%."

Cela n'a pas de sens : d'une part, on donne des armes et un soutien à l'Ukraine pour l'aider à lutter contre l'invasion russe, mais d'autre part, on finance l'armée russe en important du gaz et du pétrole.

Thijs Van de Graaf (UGent), spécialiste des politiques énergétiques

Thijs Van de Graaf souligne toutefois que la situation connaît désormais un tournant. "La réputation de la Russie est maintenant complètement endommagée. On dirait que tout le monde s'est brusquement réveillé." Le professeur soulève malgré tout un autre point douloureux : "La démarche européenne n'a pas de sens : d'une part, on donne des armes et un soutien à l'Ukraine pour l'aider à lutter contre l'invasion russe, mais d'autre part, on finance l'armée russe en important du gaz et du pétrole."

Quoi qu'il en soit, l'Europe ne peut pas se passer, à l’heure actuelle, des importations en provenance de Russie, estime le professeur. "Rien n'indique actuellement que la Russie va fermer le robinet du gaz. Ils n'ont rien à y gagner, même si nous devons rester vigilants. Si nous perdons les importations de gaz maintenant, nous ne pourrons pas compenser par des approvisionnements ou des importations d'autres régions. Mais si nous faisons notre devoir correctement, nous pouvons être beaucoup moins vulnérables l'hiver prochain et l'hiver suivant."

Quid de la Belgique ?

La Belgique est, dans une moindre mesure, dépendante du gaz russe. "Nous sommes en bonne position, avec un gazoduc vers la Norvège qui est un fournisseur important, et en plus nous avons un terminal à Zeebrugge où le gaz liquide peut être livré", explique Van de Graaf. Mais nous ressentirions aussi les effets d'une éventuelle rupture d'approvisionnement de l'ensemble du marché européen. "Nous ne sommes pas protégés contre les prix élevés du gaz qui résulteraient d'un tel choc".

Thijs Van de Graaf rappelle également que nous sommes largement dépendants du pétrole russe, un aspect qui, selon lui, reste sous-exposé. Selon les chiffres belges : 6 % de notre approvisionnement en gaz provient de la Russie, pour l'uranium c'est 20 %, et pour le pétrole 30 %.

"Pour le gaz, nous sommes vulnérables en Europe, pour le pétrole, la Russie est beaucoup plus vulnérable. Elle tire davantage de revenus des exportations de pétrole que des exportations de gaz. Aux prix actuels, la Russie gagne chaque jour 400 millions d'euros en vendant du pétrole et 260 millions en vendant du gaz. Si vous regardez où se trouvent les recettes, c'est principalement là."

Comment l'Europe peut-elle se rendre moins dépendante de la Russie ?

La Commission européenne doit proposer un ensemble de mesures la semaine prochaine. "Dans la première version qui est sur la table, l'intention serait d'accélérer le déploiement de l'ambition d'être neutre sur le plan climatique d'ici 2050", indique le professeur de l’UGent sur la base d'un document ayant fait l'objet d'une fuite.

Oui, le changement coûte de l'argent, mais c'est de l'argent qui est investi dans l'économie et les emplois locaux. 

Thijs Van de Graaf (UGent), spécialiste des politiques énergétiques

"En définitive, ce "Green Deal" européen permettra également de réduire considérablement notre dépendance à l'égard des importations de combustibles fossiles. La mesure dans laquelle on peut y parvenir réduira notre vulnérabilité et renforcera notre position internationale."

Thijs Van de Graaf fait également référence à un rapport des Nations unies sur le climat publié mardi, qui cite également la dépendance aux combustibles fossiles comme un point sensible. "Nous devons également en tenir compte. Oui, le changement coûte de l'argent, mais c'est de l'argent qui est investi dans l'économie et les emplois locaux. La facture énergétique diminue et la dépendance aux importations aussi."

L'Europe n'aurait-elle pas dû le faire beaucoup plus rapidement ?

N'aurions-nous pas dû aborder la question de la dépendance bien plus tôt? "Nous sommes entrés dans cette crise comme des somnambules. Le Parlement européen a déclaré l'état d'urgence de la situation climatique, mais nous n'avons pas donné suite à cette déclaration en prenant des mesures décisives. Peut-être que maintenant les choses seront prises plus au sérieux. Nous devons faire des sacrifices à court terme pour récolter les bénéfices à long terme."

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