Que se cache-t-il derrière les propos controversés de Conner Rousseau sur Molenbeek ?
"Quand je roule dans Molenbeek, moi non plus je ne me sens pas en Belgique", affirme le président de Vooruit Conner Rousseau dans une interview à l'hebdomadaire flamand Humo. Ces propos ont provoqué une véritable polémique à Molenbeek, à Bruxelles et aussi dans les rangs de son propre parti. Conner Rousseau veut-il attirer les électeurs du Vlaams Belang ou a-t-il d'autres intentions ? Les journalistes politiques de la VRT Bart Verhulst et Johny Vansevenant sont convaincus que les déclarations du président du Vooruit n’ont pas été faites à la légère. Cinq questions et cinq réponses ci-dessous.
Pourquoi le président des socialistes flamands a-t-il fait une déclaration controversée sur Molenbeek que certains qualifient de xénophobe ? Les réactions lundi matin n’étaient pas tendres : "remarque très déplacée", "inacceptable, stigmatisante et xénophobe" ou encore "dégoût et colère". Le président du Vooruit a-t-il intérêt à s'attirer les foudres des progressistes bruxellois ?
Quels sont les propos exacts de Conner Rousseau dans l’interview ?
Il est important de souligner qu’il s’'agit du titre de l'interview dans "Humo", et comme souvent le contenu de l'interview est plus nuancé. "Dans la dernière partie de l'interview, il s’agit du résultat des élections présidentielles en France et de la montée de l’extrême droite", explique Johny Vansevenant dans "De wereld vandaag".
Le journaliste de Humo déclare que trois quarts des Français disent ne pas avoir l'impression de vivre dans leur propre pays. Rousseau répond : "Quand je roule dans Molenbeek, je ne me sens pas non plus en Belgique". Cette phrase a été choisie comme titre de l'article. Rousseau ne parle pas de la couleur de la peau des habitants, mais dit que la plupart d'entre eux sont nés ici et que le plus important est qu'ils apprennent notre langue et travaillent."
Il s'agit donc de l'importance de parler la langue, que ce soit le néerlandais ou le français. "Cela s'inscrit dans le thème défendu par les socialistes de l'égalité des chances, une égalité des chances que l’on n'obtient que si on pratique la langue", explique Bart Verhulst.
Pourquoi adopter une position dure à propos de l’immigration ?
"Quand il s'agit du thème de l’immigration, des étrangers, de la politique d’asile, depuis un certain temps, Conner Rousseau a choisi de suivre une voie différente de celle de certains de ses prédécesseurs", déclare Bart Verhulst. "Il adopte une position plus dure : toujours à gauche mais un peu plus stricte, en insistant davantage sur les droits et les devoirs."
Au demeurant, cela va dans le sens de la position que son prédécesseur John Crombez avait déjà adoptée il y a quelques années, lorsqu'il avait préconisé des "push back" lors de la crise migratoire. Cela aussi n'a pas plu à tout le monde dans les rangs socialistes.
"Rousseau a souvent déclaré qu'il voulait récupérer les électeurs du Vlaams Belang", explique Johny Vansevenant. "N'oubliez pas que le Vlaams Belang a pris de nombreux électeurs issus de la classe ouvrière aux socialistes. Le Vlaams Belang, comme le parti de Marine Le Pen, vise le pouvoir d'achat, avec des propositions de baisse de la TVA sur l'énergie par exemple, et se rapproche ainsi régulièrement de Vooruit sur le plan socio-économique. Avec les critiques à propos des immigrés, c'est un cocktail attrayant pour les anciens électeurs socialistes."
A-t-il d'autres objectifs ?
"Je pense que Conner Rousseau a deux objectifs importants pour lui-même et pour le parti", déclare Bart Verhulst. "En plus de ramener les électeurs du Vlaams Belang, il veut frapper fort lors des prochaines élections, non seulement au gouvernement fédéral, mais aussi au gouvernement flamand." Lundi matin, par exemple, la ministre flamande Zuhal Demir (N-VA) a indiqué sur Facebook qu'elle avait "rarement été aussi proche d’un président socialiste.
"Ce n'est un secret pour personne que lors de la formation fédérale, les relations étaient bonnes entre Bart De Wever (N-VA) et Conner Rousseau (Vooruit)", ajoute Bart Verhulst. "En 2024, ils auront besoin les uns des autres. Bart De Wever aura besoin du Vooruit pour conclure un accord avec le PS au niveau fédéral et Conner Rousseau aura besoin de Bart De Wever pour entrer au gouvernement flamand."
Le prochain gouvernement flamand est-il déjà formé ?
"Plus strict sur l'apprentissage du néerlandais et l'intégration par le travail sont la base d'un excellent compromis pour parvenir à un accord politique entre Vooruit et la N-VA au sein du gouvernement flamand", pense Johny Vansevenant.
"J'entends déjà qu'une alliance entre N-VA et Vooruit est en préparation. De plus, Conner Rousseau s'entend très bien avec Bart De Wever et Zuhal Demir. Et il y a aussi déjà la coalition avec notamment la N-VA et Vooruit à Anvers."
"L'électeur a toujours le dernier mot", nuance Bart Verhulst.
Mais Vooruit n’acceptera pas tout pour entrer au gouvernement flamand. Les socialistes flamands, par exemple, sont favorables aux cours de langue, mais à condition qu'ils soient moins chers, voire gratuits. Ils estiment aussi que le service de garde d'enfants doit être amélioré et moins cher. "Donc il faudra mettre de l'argent sur la table", pense Johny Vansevenant. "On dit même que Rousseau, avec ses déclarations dans Humo, revendique déjà les départements de l'aide sociale et de l'éducation."
Rousseau ne risque-t-il pas de se mettre en difficulté dans son propre parti ?
"Je pense que Conner Rousseau est un peu chahuté dans ses propres rangs", dit Bart Verhulst. "Il prend un risque en disant quelque chose qui offense ses propres collègues de parti, mais il considère que c'est le prix à payer pour une plus grande cause".
"La question est bien sûr de savoir jusqu'où il peut aller dans ce domaine et si, à un moment donné, il ne sera pas allé trop loin."