La Belgique récupère une précieuse charte datant du 12e siècle disparue à Messines lors de la Première Guerre Mondiale
La Belgique doit récupérer ce jeudi un document historique et précieux, la charte de Philippe d'Alsace, comte de Flandre, qui avait disparu voici plus d'un siècle et qui lui sera restitué par le Metropolitan Museum of Art of New York City (Met). Cette charte, qui date du 12ème siècle, sera officiellement remise aux Archives de l'État lors d'une cérémonie au Palais d'Egmont à Bruxelles.
La charte de Philippe d'Alsace (1128-1168) était conservée dans l'abbaye bénédictine de Messines, en Flandre occidentale, et a disparu en 1914, au début de la Première Guerre mondiale. Le document a refait surface au Met en décembre 2016. Le musée new-yorkais a accepté début 2020 de restituer à la Belgique ce précieux document, qui fait partie du patrimoine culturel national.
Il y avait une abbaye bénédictine dans la ville de Messines, près d'Ypres, depuis 1057. Durant des siècles, les comtes de Flandre ont accordé à cette abbaye de nombreux biens et privilèges. Cela se faisait par des chartes solennelles en parchemin, portant le sceau du comte.
L'Institution royale de Messines
En 1776, l'impératrice Marie-Thérèse d’Autriche supprime l'abbaye et la transforme en pensionnat pour les enfants de soldats indigents qui avaient été tués ou handicapés. Cet "Institution royale de Messines" a repris les nombreuses propriétés de l'abbaye et notamment ses riches archives. Lorsque les Français ont exproprié et vendu tous les monastères de nos régions une vingtaine d'années plus tard, ils n’ont pas touché à l’Institut Royal de Messines. Car après tout, ce n'était plus un monastère.
Les archives de l'abbaye sont donc restées à Messines... jusqu'au début de la Première Guerre mondiale. Le 19 octobre 1914, les premiers obus tombent sur la ville de Messines et des combats sanglants ont lieu entre les troupes allemandes qui approchent et les Britanniques, qui défendent la colline autour de la ville. Le 30 octobre, un bombardement met le feu à l'abbaye. En trois jours, elle est détruite.
Une peinture des ruines de l'abbaye signée par Adolf Hitler
La plupart des habitants de Messines ont fui vers Bailleul, de l’autre côté de la frontière en France. Et les quelques personnes qui sont restées ont été forcées de partir peu de temps après, par les Allemands.
Durant l'hiver 1914-1915, un régiment de Bavière séjourna dans la région de Messines. Il y installa un poste de commandement dans la crypte de l’église de l’ancienne abbaye. Un jeune volontaire de guerre, Adolf Hitler, faisait également partie de ce régiment. Durant son séjour à Messines, il réalisa des dessins et tableaux de l’abbaye détruite.
Messines est restée sur la ligne de front pendant toute la guerre et a été complètement détruite. À l'exception de l'église, l'abbaye n'a pas été reconstruite par la suite. L'Institut Royal a déménagé et s’est installé dans un autre bâtiment à Lede (Flandre orientale).
Les soldats allemands ramènent des souvenirs du front
Mais qu'est-il arrivé aux précieuses archives ? Selon Johan Beun, spécialiste de l'histoire de Messines, les archives, ou du moins une partie d'entre elles, ont été mises en sécurité : "Lorsque certains membres du personnel de l’Institution royale sont revenus après la guerre, ils ont constaté que la salle des archives de l'abbaye n'avait pas été touchée par l'incendie. Mais tous les documents avaient disparu.
En face de l'abbaye se trouvait une brasserie," explique Johan Beun. "Le brasseur a plus tard dit à ma mère qu'il avait caché les archives dans ses caves. Mais j’ignore si c'est exact."
Quoi qu'il en soit, les archives avaient disparu mais n'avaient pas été détruites. L'officier allemand Kress von Kressenstein a écrit peu après l'incendie de l'abbaye : "Pas une seule pièce de ce grand et vaste bâtiment n'était intacte, tout était en ruines. Dans une petite maison, dépassant des décombres, j'ai trouvé plusieurs documents anciens avec des sceaux gothiques et romans. Je les ai pris comme souvenirs. Ce devait être les archives ou la bibliothèque."
Apparemment, de nombreux soldats allemands avaient emporté de tels "souvenirs" de Messines. Souvent de bonne foi, car sinon ils auraient été irrémédiablement perdus.
Après la guerre, ces archives furent conservées dans des greniers en Bavière, mais également dans d'autres parties de l'Allemagne et dans le monde. Des émigrés allemands les emportèrent aux Pays-Bas, en Suède et aux États-Unis. Si certains soldats allemands les restituèrent à la Belgique après la Guerre, beaucoup d'autres ont gardé leurs trouvailles ou les ont vendues.
"Lorsqu’il s'agissait de parchemins et qu'ils portaient des sceaux, les propriétaires savaient que cela avait de la valeur, mais des papiers ordinaires, comme les comptes de l'abbaye, ont pu être jetés." Certains documents précieux sont en effet apparus de temps en temps chez des antiquaires.
Propriété de l'État
Hendrik Callewier, des Archives d'État de Bruges, a recherché pendant des années les documents restants, qui se sont entre-temps répandus dans plusieurs pays : "Nous avons trouvé les chartes les plus récentes aux Pays-Bas, en Allemagne et en Suède". Pas plus tard qu'en 2021, il s'est vu remettre trois précieuses chartes à Munich. Deux d'entre elles étaient en possession des descendants de Kress von Kressenstein.
La charte du Metropolitan Museum de New York provient d'un Allemand qui avait émigré aux États-Unis. Au total, environ un cinquième des documents connus ont refait surface.
En principe, toute personne en possession d'un tel document d'archive doit le restituer à l'État belge. Après tout, ces documents appartenaient à l'Institut royal de Messines, qui est une propriété de l'État. "Nous pouvons considérer les documents manquants comme un butin de guerre", a déclaré Hendrik Callewier. "Il est arrivé à quelques reprises que des archives de Messines soient proposées lors d’une vente aux enchères. Dans ces cas, nous avons empêché la vente et les avons réclamés."