Pourquoi la Flandre ne s’appelle pas Brabant et y parle-t-on le néerlandais et pas le flamand ?

Pourquoi parle-t-on aujourd’hui de la Flandre pour désigner le nord de la Belgique ? En effet, à côté du comté de Flandre le Duché de Brabant joua aussi un rôle historique important. Et pourquoi la langue officielle de cette Région est-elle le néerlandais et pas le flamand ? Alors que la VRT diffuse depuis quatre semaines - tous les dimanches à 20h sur Eén - la série télévisée "Het Verhaal van Vlaanderen" retraçant l’histoire de la Flandre, VRT NWS a posé ces questions à l’historien Bruno De Wever, professeur d’histoire à l’Université de Gand (UGent).

Le troisième épisode de la série "Het Verhaal van Vlaanderen" présentée par l’animateur Tom Waes raconte la naissance du comté de Flandre, une région historique qui correspond aujourd’hui à la Flandre occidentale, la Flandre orientale, la Flandre française et la Flandre zélandaise (la partie de la province néerlandaise de Zélande qui se trouve sur la rive sud de l'Escaut occidental). Dans cet épisode, on suit le destin de Baudouin Ier dit Bras de Fer, qui fut le premier comte de Flandre de 863 à 879, et de Judith de France, la fille aînée de Charles II le Chauve, roi de Francie occidentale et futur empereur d'Occident. Judith devint la première comtesse de Flandre (photo).

Le couple régnait sur un petit territoire situé aux confins de l’Empire franc occidental. L’histoire prestigieuse de ce "Pagus Flandriensis" - qui constitue le noyau autour duquel s’est formé le marquisat de Flandre au 9e siècle - est à l’origine du fait que la Flandre s’appelle aujourd’hui la Flandre.

Il aurait facilement pu en être autrement. "La leçon principale que l’on peut retenir de l’histoire est que les choses auraient toujours pu se passer autrement", soulignait le professeur et historien Bruno De Wever (UGent) dans l’émission "Nieuwe feiten" de Radio 1 (VRT). 

"Dans le troisième épisode du "Verhaal van Vlaanderen", il est question du comté de Flandre, d’où émane le nom actuel des provinces néerlandophones de la Belgique. Des parties importantes de la Flandre actuelle n’ont cependant jamais appartenu au comté de Flandre, comme le Duché de Brabant et la région qui correspond à ce que nous appelons aujourd’hui le Limbourg".

Carte topographique du comté de Flandre à la fin du 14e siècle, où l’on voit en rouge la frontière avec le Saint Empire romain germanique. A l’ouest de cette frontière il y avait la Flandre royale (Kroon-Vlaanderen) et à l’est la Flandre impériale (Rijks-Vlaanderen).

La Bataille des éperons d’or

Pour parler de la naissance de la Flandre, on se réfère souvent à la Bataille des éperons d’or, un fait historique qui a presque pris des proportions mythiques dans le récit historique. Cette bataille est au centre du quatrième épisode de la série "Het Verhaal van Vlaanderen".

Elle se déroula le 11 juillet 1302 près de Courtrai et opposa l’armée du roi Philippe IV de France aux milices communales flamandes, appuyées par des milices venues de Zélande et probablement de Namur, Brabant, Luxembourg et Liège notamment. Les troupes flamandes victorieuses ramenèrent comme trophées les éperons d’or des chevaliers tombés au combat. D’où le surnom donné à cette bataille.

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La bataille de Worringen

Cette bataille du 13e siècle constitua au 19e siècle la base de la construction de la nation flamande et belge, à la suite de l’indépendance de la Belgique en 1830. Elle fut un bon levier pour mettre en lumière la jeune identité flamande. "Si la construction de la nation flamande n’avait pas déjà eu lieu au 19e siècle mais seulement au lendemain de la Première Guerre mondiale, la fête flamande aurait été fixée non pas au 11 juillet mais au 5 juin, la date de la Bataille de Worringen (ou Woeringen) en 1288", estime Bruno De Wever.

Cette bataille s’est déroulée près de Cologne et plaça le comté de Brabant pour la première fois sur la carte en tant qu’entité de premier plan, avant tout au détriment de l’influence des principautés allemandes dans le Limbourg. "La raison pour laquelle le nom de Flandre a pris le dessus est liée au fait que lors de la naissance de la Belgique, la France était considérée comme la grande puissance impériale et pas l’Allemagne", estime De Wever. Les guerres de conquête de Napoléon étaient encore fraiches dans les mémoires, alors que les principautés allemandes ne furent unies qu’en 1871.

Le roman historique "Le lion des Flandres", écrit en 1838 par l’Anversois Henri Conscience (photo) et racontant la Bataille des éperons d’or de 1302, était à l’époque un cadeau rêvé pour la jeune Belgique qui voulait s’émanciper de la France. Conscience fut aussi appelé "l’homme qui appris à lire à son peuple".

"Ce ne sont donc pas que les Flamands qui s’approprièrent la Bataille des éperons d’or, mais aussi les Belges francophones qui la considérèrent comme un levier"', estime Bruno De Wever. La monarchie s’en inspira aussi en reprenant les anciens titres de duc de Brabant et comte de Flandre pour les attribuer aux premier et deuxième fils du souverain.

"Dangereuse" construction de la nation flamande

“La notion de Flandre est aussi bien plus ancienne que celle de Brabant", explique l’historien Bruno De Wever (photo archives). "'Le territorium Flandris est mentionné pour la première fois au 8e siècle et connait une histoire prestigieuse du 12e au 14e siècles. L’essor du Brabant est bien plus tardif, aux 15e et 16e siècles". Au cours des siècles, on utilisera dans les milieux internationaux le terme de "Flandre" pour décrire le territoire qui correspond aux Pays-Bas méridionaux et septentrionaux, "'mais ce ne fut pas sans certaines réticences dans le pays-même".

Au cours de la construction de la jeune Belgique, par exemple, des institutions furent créées pour réglementer l’utilisation des langues dans le pays. "En 1938, on créa le Conseil culturel néerlandais, chargé de formuler des conseils pour favoriser le développement culturel de la nation. On n’utilisa cependant pas le terme ‘Conseil culturel flamand’, étant donné que le mot "flamand" était sciemment évité par les défenseurs d’une identité belge", souligne Bruno De Wever. Ils craignaient que la Flandre ne s’engage dans un processus propre de formation d’une nation, qui aurait été dangereux pour la Belgique".

BELGA/WARNAND

On parle néerlandais ou flamand ?

La langue parlée en Flandre est le néerlandais et pas le flamand. Ce choix de terme est lié au fait que la langue parlée dans la Région est très fragmentée. Le néerlandais du sud n’était pas une langue standard, mais de très nombreux dialectes.

Les Flamands voulaient protéger le néerlandais contre la domination francophone en Belgique, mais ne parvinrent pas à se mettre d’accord sur la manière de le faire. Un groupe de Flamands - les particularistes - souhaitait créer une langue néerlandaise flamande, dans le but de se distinguer de la domination hollandaise du passé.

Il y avait aussi des intégrationnistes, qui voulaient calquer que néerlandais du sud sur la langue néerlandaise du nord. "A la suite d’une guerre d’orthographe, on opta finalement pour le néerlandais standard". Les intégrationnistes avaient gagné.

“Le début de la formation de la nation flamande représentait un danger pour l’identité belge". L’historien Bruno De Wever estime qu’un raisonnement inverse explique le fait que le gouvernement flamand investisse aujourd’hui autant de moyens dans la série télévisée "Het Verhaal van Vlaanderen". "Plus le terme de "Flandre" sera prononcé, mieux ce sera".

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