Les trois leçons à retenir de l'accord du gouvernement flamand sur le Plan azote
En parvenant à un accord sur le Plan azote le 10 mars dernier, le gouvernement flamand est sauvé, mais cela ne veut pas dire que les trois partis de la coalition (N-VA, CD&V et Open VLD) sont à nouveau unanimes. Entretemps, des "sondages fantômes" semblent avoir le même effet à la Rue de la Loi que les vrais sondages. Quelles sont les leçons que l’on peut tirer de l’accord flamand sur le Plan concernant les émissions d’azote ? Une analyse d'Ivan De Vadder, journaliste politique de la VRT.
Le gouvernement flamand a sauvé sa propre peau
Le soulagement était visible sur les visages des ministres flamands vendredi 10 mars dernier. Leurs grands sourires à la ronde contrastaient avec les visages fermés et les bras résolument croisés qu’ils affichaient quelques jours plus tôt, lors du débat au Parlement flamand sur le Plan qui doit réguler les émissions d’azote provenant non seulement de l’agriculture mais aussi de l’industrie. Même sans entendre les commentaires à la télévision, on pouvait deviner qu’un accord avait pu être conclu. C’était comme si le ciel politique flamand venait de se dégager et que les ministres régionaux avaient pu chasser d’un sourire le stress de l’impasse dans laquelle ils étaient restés coincés pendant des semaines.
L’accord est vraiment tombé comme un cadeau du ciel, faut-il croire, puisque certains ministres auraient même déjà donné une interview dans une toute autre perspective, à savoir celle de l’échec des négociations. Le ministre de l’Agriculture, Jo Brouns (CD&V), aurait ainsi dû annuler une interview qu’il avait déjà accordée au quotidien Het Nieuwsblad.
Le gouvernement flamand est sauvé, déclare-t-on maintenant à l’unanimité, bien que la plupart des ministres y ajoutent : "A condition que cette page puisse être tournée". Le ministre-président Jan Jambon (N-VA) s’est cependant montré plus optimiste dimanche dernier dans l’émission télévisée "De zevende dag" (VRT). "Quand il y a un accord, on oublie rapidement comment il s’est produit". Quoi qu’il en soit, l’accord n’a pas ramené l’unanimité au sein des partis de la coalition. Chacun d’eux a en effet donné sa propre version des faits.
D’après la N-VA, l’accord était déjà conclu depuis plusieurs jours. Le CD&V affirme pour sa part que des changements fondamentaux ont justement permis d’arriver à un accord le 10 mars. Des changements qui seront cependant précédés d’une étude pour analyser si les assouplissements réclamés par le CD&V sont possibles, sans mettre en péril les objectifs du gouvernement flamand, à savoir déverser 50% d’azote en moins dans la nature d’ici 2030. Les chrétiens-démocrates sont convaincus que le résultat de l’étude sera positif, la N-VA en doute. La pomme de discorde subsiste donc entre les deux partis. Le fait que, dans une interview, le président des nationalistes Bart De Wever ait qualifié le président du CD&V Sammy Mahdi de "Bouchez de l’Aldi pendant les soldes" n’améliore pas l’ambiance générale.
Le jeu de puissance de la N-VA
Le discours de Bart De Wever dans l’émission "De afspraak op vrijdag” - présentée par le journaliste politique Ivan De Vadder - était affligeant. Le président de la N-VA admettait que son parti a bien eu recours à une sorte de jeu de puissance envers le CD&V. En usant d’une rhétorique de guerre dans le feu du conflit ou de moyens juridiques - en déclarant qu’une décision a été prise "avec une large majorité", contrairement au consensus réclamé par la loi. Un remède de cheval, déclare De Wever.
En plus de cela, le décision d’accord entre la N-VA et Open VLD sur une version du Plan azote était immédiatement publiée sur le site internet du gouvernement flamand, ce qui est contraire aux habitudes. Normalement, pareille notification doit d’abord être approuvée par tout le gouvernement flamand au conseil des ministres. Une méthode dure, donc.
Cette façon de procéder a mené à l’un des moments les plus marquants dans l’histoire du Parlement flamand : la vice-ministre-présidente et ministre de la Santé Hilde Crevits a abandonné son ton habituellement conciliant pour reprocher au ministre-président Jan Jambon de "plaquer l’un des partis de la coalition le dos au mur". Un reproche qui a dû faire mal à l’intéressé dont le rôle est justement de dépasser son propre parti pour diriger une équipe. Or Jan Jambon avait clairement endossé la stratégie de son parti pendant les négociations qui avaient jusqu’alors échoué et son discours au Parlement flamand ne reflétait que le point de vue de la N-VA.
Interrogé sur le plateau de l’émission "De zevende dag" à propos de cet incident, Jan Jambon déclarait en avoir entretemps parlé avec Hilde Crevits. Mais dans les faits, nous avons été témoins de l’achèvement d’un processus qui est déjà en cours depuis longtemps sur la scène politique flamande, à savoir que le CD&V et la N-VA ont changé de position. Au cours de cette législature, le CD&V a en effet désappris son rôle de parti du peuple qui prend la responsabilité de trouver un compromis, comme l’ont fait les chrétiens-démocrates pendant 50 ans. Le CD&V a maintenant, à juste titre, cédé cette responsabilité au plus grand parti du gouvernement flamand, à savoir la N-VA.
Le CD&V peut donc dorénavant défendre sans gêne ses propres objectifs et les objectifs de ceux qu’il juge être ses électeurs : les agriculteurs et les seniors. C’est avant tout Bart De Wever qui éprouve des difficultés face au changement d’attitude du CD&V. Sur le plateau de l’émission "De afspraak op vrijdag" (‘Le rendez-vous du vendredi’), le 10 mars dernier, il a fulminé de longues minutes contre la stratégie du CD&V qui, selon lui, "réduit d’abord un accord en miettes avant de finir par l’approuver". De Wever (photo) qualifiait cela de "scénario de film d’horreur”, en ajoutant que "le CD&V l’a déjà utilisé précédemment, lors de la Déclaration de septembre" où le ministre-président expose les grandes lignes du budget pour l’année suivante. "Et pareille ‘suite’ est toujours bien pire que la première fois, certainement dans le cas d’un film d’horreur", lançait De Wever.
La réalité virtuelle d’un sondage fantôme
Tout est bien qui finit bien. Avec un article passionnant publié dimanche dernier sur le site de HLN.be, concernant un sondage fantôme qui aurait eu lieu pendant la dernière semaine des négociations sur le Plan azote. L’idée qu’un sondage sur les intentions de vote des citoyens pourrait être en cours semble rendre les responsables politiques aussi nerveux qu’un réel sondage. Dans le passé, les résultats de sondages sur les intentions de vote ont engendré de la nervosité, à tel point que les responsables politiques ont créé leur propre réalité. Mais maintenant des soupçons sur un éventuel sondage suffisent déjà à rendre tout le monde nerveux.
Cela donne l’image de responsables politiques qui tentent de se convaincre qu’ils peuvent diriger les résultats de pareil sondage en faisant intervenir ou en citant, ou pas, d’autres politiques dans les médias. Dans une sorte de vision tunnel qu’ils créent eux-mêmes, ils se donnent l’impression qu’ils peuvent garder le contrôle de cette réalité virtuelle. Mais peut-être les responsables politiques devraient-ils simplement sortir de leur tunnel et se mouvoir dans la vraie réalité. Cela permettrait d’économiser les coûts d’un sondage.